sabato 28 marzo 2015

ITER : una stella in una bottiglia, una minaccia per l'Europa







Troppo lungo da tradurre adesso, ma forse anche in francese potrebbe essere interessante da far circolare.
Troverete qui anche la fonte in Inglese (da Sergio Ghirardi)


ITER : un progetto di fusione nucleare «al colmo del malessere e capace di derivare al di fuori di ogni controllo»

J'ai lu cet été un excellent texte sur ITER, publié dans l'hebdomadaire américain "The New Yorker", connu entre autre pour la rigueur de ses analyses politiques, et je tenais vraiment à le faire partager : "A star in a bottle" de Raffi Khatchadourian (  http://www.newyorker.com/magazine/2014/03/03/a-star-in-a-bottle ) 
Mais c'est un long article, écrit en anglais, et malheureusement jamais traduit par personne. J'y ai passé pas mal de temps - vive la période des fêtes – afin de vous en livrer une traduction convenable, la traduction automatique étant souvent peu lisible et pleine de non sens. Je n'ai pas traduit la partie historique sur le nucléaire et le projet ITER depuis les années 50 (trop long travail), mais principalement ce qui concernait le projet ITER aujourd'hui. 
Vous verrez, on est loin des articles habituels bien lissés des journaux français, et à des années lumière des propos enchanteurs tenus par l'agence ITER France, pur produit du CEA, depuis maintenant des années. Ce texte date de plusieurs mois mais reste d'actualité étant donné la lenteur du chantier ITER.
Raffi Khatchadourian est donc allé sur la plate-forme ITER à Cadarache en 2013, a suivi le travail des scientifiques qui sont là-dedans quotidiennement, a pu parler avec eux, les suivre dans leur journée, les écouter, recueillir leurs avis et impressions. Il a fait aussi un tour sur le chantier en construction et ce qui en ressort est vraiment édifiant ! Une évaluation confidentielle de la gestion interne parlait d'ITER comme d'un  projet« en plein malaise pouvant dériver hors de tout contrôle ». Un rapport final très sévère a été publié en octobre 2013; la direction d'ITER l'a gardé dans le plus grand secret. The New Yorker l'a diffusé mais personne ne l'a traduit en français bien sûr.
ITER, c'est la galère depuis le tout début, bien avant que le premier bloc de béton soit coulé.
C'est un projet qui ne tient pas la route ( iter, «la voie» en latin) dans sa partie politique comme dans sa partie scientifique. Les politiques ont fermé les yeux, fiers d'être les initiateurs d'un grand projet international, et les scientifiques se sont frotté les mains d'avoir autant d'argent pour un beau jouet de recherche. 
Mais la réalité les a tous très vite rattrapés. Et ce n'est à présent plus une voie mais une impasse totale, un cauchemar même. Le projet ne peut absolument plus être modifié, car la fabrication des pièces a démarré un peu partout dans le monde et c'est déjà un vrai casse-tête international.
Alors politiques et scientifiques se renvoient mutuellement la faute et les têtes tombent. Nous apprenions en novembre qu'Osamu Motojima, le deuxième directeur général d'ITER, perdait son poste. C'est Bernard Bigot, grosse pointure du nucléaire en France, qui le remplacera dès février 2015. (ça sent la dernière cartouche).
Mais le problème reste entier et insoluble et les problèmes ne vont aller qu'en s'aggravant comme celui de l'assemblage des composants qui vont arriver à Cadarache. Le tokamak en comprend 1 million !
Et il y a aujourd'hui un problème plus urgent encore: aucun bâtiment n'est prêt à Cadarache, le chantier a plus de 5 ans de retard.

Le Complexe tokamak, un édifice de 400 000 tonnes, 120 mètres de long sur 80 de large, aura une hauteur de 80 mètres et comprendra sept niveaux. C'est une construction très complexe, ou l'erreur n'est pas permise, qui est très loin d'être réalisée. Le radier au sol a été achevé cet été et les premiers murs commencent juste à s'élever.

Le Bâtiment d'assemblage, où doivent donc être assemblés les éléments de la machine, est aussi un grand bâtiment (97 mètres de long, 60 de large et 60 de haut). Il est à peu prés au même stade de construction que le Complexe tokamak. Le premier convoi ITER va emprunter l'itinéraire  dans la nuit du 13 au 14 janvier 2015. Il concerne le transport d'un transformateur électrique, énorme bloc de 60 m3. Ce sera le premier d'une série de quatre transformateurs attendus cette année. Une dizaine de convois, qui transiteront entre une et trois nuits, de Berre à Cadarache, sont programmés en 2015. ( ils étaient initialement attendus pour 2009! )

Où vont-ils stocker et assembler tous ces composants ?
Surcoûts et retards vont évidemment continuer. Le prix de la construction a déjà triplé alors qu'elle en est à ses débuts. Personne aujourd'hui n'est en mesure de chiffrer le projet ITER. Les conflits entre les pays partenaires vont très certainement s'amplifier. Nous le disions déjà, cela fait plus de 10 ans, avec l'association MEDIANE. Le projet pharaonique se dirige, chaque jour un peu plus, vers un fiasco colossal.
Ce gaspillage effrayant de milliards d'euros d'argent public doit cesser au plus vite !
ITER est un vieux projet "scientifique" sur la fusion nucléaire qui date des années 80, aujourd'hui complètement désuet. Et le nucléaire, fusion comme fission, sera toujours une menace de mort et certainement pas une source de bienfait pour l'humanité.
Antoine Calandra, janvier 2015

A STAR IN A BOTTLE By Raffi Khatchadourian


Des milliers de composants vont être fabriqués plus ou moins parfaitement et en fin de compte, le succès du projet ITER peut reposer sur une simple question :
Est-ce qu'on parviendra à tout assembler ?
Stefano Chiocchio, chef de la division intégration-conception d'ITER - chef de puzzle - a son bureau dans l'une des annexes temporaires près du siège. Son BlackBerry contient généralement un calendrier de rendez-vous impossible à tenir. Son téléphone à l'oreille il gesticule comme une particule atomique zigzagante. Les ingénieurs de Chiocchio sont, en quelque sorte, la garde prétorienne du projet, m'a dit un employé.
Jusqu'à présent, la grande machine n'existe que sous forme d'informations numériques de 1,8 téraoctets, accessibles sur un cloud computing  sécurisé et sauvegardées tous les soirs dans une banque à Barcelone garantissant la bonne conservation des disques durs. Mais la principale menace est la manière de travailler en elle-même, avec des modifications venant simultanément du siège ITER, des agences domestiques et des divers sous-traitants à travers le monde. Théoriquement les modifications ne sont ajoutées qu'avec l'approbation de la garde prétorienne. Pourtant les incompatibilités arrivent en nombre. L'équipe de Chiocchio doit faire face à toutes ces non-conformités et se trouve complètement débordée.
J'avais rendez-vous avec Chiocchio et l'ai trouvé en pleine réunion dans une salle de conférence. Deux douzaines d'ingénieurs étaient assis autour de tables disposées en fer à cheval dans une ambiance assez sombre. Un sentiment de crise semblait planer sur ITER comme une nébuleuse concentrique autour d'un soleil mourant. Le projet est en retard depuis le début. En 19931 on pensait que la machine pourrait être prête en 2010; et il y aura certainement d'autres retards. Le moral est plus bas que le plancher et les discussions sont remplies de cynisme, de désaccords et d'humour noir. 
« il y a beaucoup d'anxiété ici, tout ça va imploser » m'a dit un physicien
De nombreux ingénieurs et physiciens travaillant sur ITER estiment que les retards ont peu à voir avec l'ingénierie ou la physique mais viennent de la façon dont ITER est organisé et géré. Des membres clé de l'équipe technique sont partis, d'autres ont pris un «congé pour stress» afin de récupérer.
Il y a peu, le directeur général, Osamu Motojima, physicien japonais qui dirige l'organisation depuis 2010, a fait poser par des ouvriers, à l'entrée du siège, une dalle de granit pour marquer la présence d' ITER. Les gens l'appellent la pierre tombale.
Les ingénieurs de Chiocchio étaient réunis pour discuter du problème le plus urgent : les retards dans la construction de l'énorme bâtiment qui abritera le tokamak.
Dès le début, afin de respecter le calendrier, la construction a démarré malgré que des parties importantes, au niveau de la conception du tokamak, soient incomplètes. C'est comme construire la coque d'une fusée sans avoir conçu son moteur, ou pire encore. Comme l'a dit Chiocchio : " l'une des difficultés avec ce bâtiment nucléaire est que, une fois construit, on ne pourra plus percer le moindre trou. Une fois terminé, point final. Le bâtiment dispose d'une fonction de sécurité, de confinement, et l'une des principales exigences, c'est qu'il n'y ait pas de fissures à travers lesquelles la radioactivité puisse migrer et s'échapper. Nous devons être sûrs de n'avoir rien oublié - un tuyau, un câble - parce que si nous avons manqué quelque chose et que quelqu'un dise « OK, nous allons visser juste cela au mur » et bien, non, ce ne sera pas possible»

Et pourtant vu l'immense échelle et la densité de la machine ITER, il est pratiquement impossible de savoir où tout ira ! Près de 10 000 km de câbles vont traverser la machine pour distribuer la puissance électrique dans 250 000 points terminaux. Un système de chauffage enverra un million de watts de rayonnement micro-ondes à travers une ouverture constituée d'un gros diamant synthétique. Le système nécessitera un guidage tubulaire parfaitement droit pour transporter les ondes.
Pour résoudre l'énigme du renforcement de la machine, les ingénieurs ont conçu des portails spéciaux dans toute la structure. « Fondamentalement, ce que nous avons à faire maintenant est de s'assurer que nous avons bien prédéfini les emplacements, avec des plaques d'acier encastrées dans les murs, qui pourront soutenir tous les systèmes qui sont à l'intérieur », a expliqué Chiocchio. « Nous devons mettre de nombreuses plaques d'encastrement, plus de quatre-vingt mille, mais chaque plaque coûte très cher, et l'Agence domestique européenne, qui est responsable de la construction, se plaint que nous en mettons trop. « Les plaintes deviennent des arguments, les arguments deviennent des retards, et les retards dans la construction menacent maintenant l'ensemble du projet. Si le bâtiment n'est pas terminé, nous aurons des composants tout le long de la route.
Un jour de retard commence à présent à coûter cher, je ne sais pas, probablement près d'un million d'euros ».
Dans la salle de conférence, les ingénieurs étudiaient une présentation PowerPoint intitulée «TKM Complexe – niveau B1 semaine 34 et actions semaine 35 » Un membre de l'équipe conception-intégration, Jean-Jacques Cordier, menait la discussion. A la fin de la réunion, il a indiqué qu'il manquait du temps pour examiner de près les composants qui occupent le troisième étage: les plans devaient être réunis, les spécifications actualisées, les problèmes réglés. Il a dit « ce n'est pas raisonnable, cela signifie que nous devrons traiter des milliers de données en trois semaines »
Chiocchio a demandé si tout ce qui concernait les premiers étages était fini, mais il restait tout simplement trop de détails à retravailler avant de livrer les dessins à l'entrepreneur. « Si nous tardons, nous aurons un retard réel. La seule façon de l'éviter est d'augmenter nos ressources pour y faire face » a déclaré Cordier.
Chiocchio m'a rejoint pour le déjeuner, il semblait épuisé. ITER quand tout sera terminé, contiendra dix millions de pièces individuelles, mais il y a seulement vingt-huit personnes qui travaillent dessus. Il m'a montré ensuite une pièce près de son bureau où trois hommes sont en poste tous les jours pour traquer les conflits. Devant chaque homme, un énorme puzzle ITER en miniature remplit deux écrans d'ordinateur. «Nous devons tout vérifier, les conflits comme celui-ci» dit l'un des hommes pointant un schéma où une structure de soutien du tokamak ne s'alignait pas avec la plaque d'ancrage. Pour résoudre ce problème, il faut informer l'équipe de designers deux étages plus bas. Habituellement, les membres de la Garde transmettent des messages que les autres ne veulent pas entendre » dit-il, ajoutant: « En fait, nous ne sommes pas aimés par grand monde »
Comme l'a dit Chiocchio, de nombreux problèmes de conception surgissent à cause des fondements politiques du projet. Les modifications apportées à un composant rendent les autres - construits dans d'autres pays - plus cher, et les controverses sont difficiles à résoudre. Depuis le début, les agences domestiques rivalisent pour élaborer le design des composants de la machine, de sorte que leurs industries puissent profiter de ce savoir-faire; la conception et la fabrication des pièces les plus sophistiquées a donc été réparti, ce qui est politiquement judicieux, mais en totale contradiction avec la prudence en ingénierie. Il aurait fallu un seul fabricant pour la construction de la chambre à vide d'ITER, un dispositif de haute précision qui doit avoir une symétrie parfaite pour fonctionner. Au lieu de cela, elle sera construite en neuf segments, deux fabriqués en Corée et le reste en Europe. Il aurait fallu des boulons ayant certaines caractéristiques, mais les Européens ont décidé d'en utiliser d'autres qui sont moins chers. La garde prétorienne, avec un peu plus que le pouvoir de persuasion, doit s'assurer que le dispositif est complet.
Les cadres de référence communs sont souvent difficiles à trouver, et Chiocchio doit travailler constamment pour qu'ITER ne devienne pas une Tour de Babel scientifique. Il demande aux scientifiques d'utiliser la même terminologie (parfois, la même langue) et aussi la même norme de mesure métrique. C'est un travail de mégère, mais Chiocchio est engagé dans le projet ITER depuis vingt ans, et comme beaucoup de gens qui construisent des tokamaks, il est venu ici avec le sens d'une mission. La fusion thermonucléaire diffère de la fission, et sa promesse est beaucoup plus grande. Un ingénieur qui a consacré sa carrière à l'objectif d'un réacteur m'a dit une fois : « la fusion a une pathologie intéressante, son attrait est tellement immense » Dans le siège ITER on peut sentir cela: une force psychologique qui atténue, ou enferme, le pessimisme comme un champ magnétique. J'ai pu la capter un après-midi quand un physicien découragé déclara, plaisantant à moitié, que le vaisseau spatial dans "Star Trek" était alimenté par la fusion. […]
Dans les années 90, il y avait toutes les raisons de penser que c'était la fin d'ITER. Au moment où les États-Unis se sont retirés, un autre physicien français, Robert Aymar, était en place et a décidé de réduire le coût astronomique d'ITER en faisant une machine plus petite, avec un budget serré et moins de personnel. Commencé en 1998, il n'a été finalisé qu'en 2001. La nouvelle machine serait construite pour un mélange idéal de tritium, et l'objectif ne serait plus d'atteindre l'ignition, mais de produire dix fois plus d'énergie tiré dans le plasma, un demi gigawatt. Aymar estima le coût à cinq milliards de dollars, la moitié du coût initial, et ce chiffre fut bientôt cité comme son prix réel. La conception était encore loin d'être complète, et presque tout le monde savait que ce chiffre était largement sous-estimé. « Bien sûr, les bureaucrates voulaient que ITER soit approuvé, et les politiciens ont volontairement fermé les yeux » m'a dit un employé. « Oh, si au lieu de 5 milliards ils avaient dit 15 milliards, alors probablement personne n'en aurait voulu »
Poussé par un consensus d'universitaires américains, les États-Unis ont rejoint le projet; un accord engageant les deux parties a finalement été signé, et une agence domestique américaine s'est ouverte à Oak Ridge. Mais l'irréalisme délibéré est resté. Les deux premiers chefs d'ITER n'avaient aucune expérience en physique des plasmas. Le directeur général, Kaname Ikeda, était un fonctionnaire japonais et un ingénieur nucléaire. Son chef adjoint, Norbert Holtkamp, venait du monde des accélérateurs de particules de haute énergie. Holtkamp fit ce qu'il put pour protéger l'organisation naissante. « Un jour il a dit: si vous dépensez le maximum d'argent, passé le premier milliard, personne ne nous arrêtera plus. Et donc il a dépensé, dépensé et dépensé » m'a dit un ancien ingénieur ITER. « La conception n'était pas terminée, mais il voulait que ça démarre; bougez, bougez, bougez ! » (Holtkamp nie avoir fait ce commentaire)
Science et politique ont fusionné. Lorsque les ingénieurs européens qui travaillent depuis des décennies dans la recherche sur les tokamaks ont proposé de construire l'enceinte intérieure, un officiel chinois s'est levé et, profondément choqué, a soutenu avec véhémence que c'était le comble de l'arrogance de penser que la Chine n'était pas capable de fabriquer cette enceinte. Et il a été décidé que la Chine en ferait une partie.
Assez vite, la réalité a refait surface: le calendrier a dérapé et les coûts ont augmenté. En 2010, Ikeda et Holtkamp prenaient la porte, et Osamu Motojima prenait le poste de directeur. Étant physicien et spécialiste de la fusion, Motojima comprit ce qui était en jeu: Si ITER échouait, la quête de l'énergie thermonucléaire pourrait être enterrée définitivement. Après avoir pris la barre, il déclara : « Le rêve est vivant ! » Un après-midi, David Campbell, physicien en chef à ITER, m'a dit: « Je peux traverser la salle et regarder le site en construction, et parfois je me dis à moi-même : nous construisons ITER là-bas! Il a fallu longtemps pour en arriver là. Même s'il y a des frustrations avec le système, même si les membres ne sont pas contents du coût qui a augmenté et des retards sur le calendrier, tout le monde est engagé la-dedans ».
[…]
Le but de l'examen de Reich, ingénieur dans la garde Prétorienne, était surtout d'étudier les changements que les diverses agences domestiques proposaient pour les aimants, en commençant par celui appelé le solénoïde central, la plus importante contribution américaine à ITER. À l'école primaire, les enfants font souvent des sortes de solénoïdes en enroulant un fil autour d'un clou, puis en l'attachant à une batterie : le courant magnétise la bobine. Le solénoïde central d'ITER fonctionnera de la même manière, mais il pèsera mille tonnes, et se tiendra comme une colonne de 12 mètres de haut au centre de la chambre à vide. Sa bobine fera plus de 30 km de long et sera faite avec du niobium-étain (Nb3Sn), un matériau exotique rarement utilisé dans les grands projets industriels. Ce métal a été choisi car il peut générer des champs magnétiques extrêmes: 260 000 fois celui de la Terre. Clé de conception d'origine soviétique, le solénoïde enverra d'énormes impulsions électriques à travers le plasma, pour le chauffer et le stabiliser. David Everitt, ingénieur à Oak Ridge en charge de la construction de l'aimant, m'a dit de l'imaginer comme une bougie géante : « Ce sera une merveille technologique. Il a beaucoup de choses à faire, le courant n'est pas constant. Il a un très grand champ magnétique, pas le plus grand mais très grand, le courant à l’intérieur d'un module est opposé à celui du module adjacent, il y a une très grande force de séparation».
Quand les ingénieurs d'ITER parlent de très grande force de séparation, ils pensent à une rupture cataclysmique. Le solénoïde sera construit en six modules, empilés les uns sur les autres comme des jetons de poker. L'avantage de cette conception est que les différents modules peuvent fonctionner avec des champs magnétiques opposés, donnant aux physiciens la capacité de modeler le plasma de différentes manières. L'inconvénient est que cela crée également des forces opposées énormes qui peuvent faire sauter tout l’empilement si elles ne sont pas fortement contrebalancées. Les concepteurs de l'aimant ont calculé que les forces peuvent atteindre soixante méga newtons, soit deux fois la poussée qu'une navette spatiale de la NASA a besoin au décollage. Toute la pile peut aussi se comprimer puissamment. Lorsque les ingénieurs ont eu connaissance de cette conception, leur réaction a été : « par le saint Maquereau! Vous voulez faire quoi ? »
Selon à qui vous parlez, l'histoire de ce solénoïde central incarne soit la déficience d'ITER, soit les capacités de l'équipe à surmonter la difficulté. Dès le début, les exigences techniques de l'aimant indiquaient que ce serait extrêmement difficile de le fabriquer. Pour éviter que le solénoïde ne passe à travers le toit, 1080 vis doivent être fixées à la partie supérieure et à la partie inférieure, afin de maintenir la pile comprimée comme dans un étau. En outre, le niobium-étain est difficile à travailler. Il n'atteint pas ses propriétés supraconductrices tant qu'il n'est pas cuit: les brins de câbles seront enroulés dans un module, puis chauffés pendant plusieurs jours dans un four sur mesure inondé avec de l'argon. Les brins, de moins d'un millimètre d'épaisseur chacun, seront entrelacés avec le cuivre. Dans le four, les métaux vont se lier dans une matrice fragile qui ne pourra pas être pliée ensuite.
[…]
La politique inadaptée du projet ITER fait que les problèmes ne peuvent que s'aggraver. Le personnel utilise le terme de « zoo conducteur» pour désigner la ménagerie de matériaux composant les aimants. Le brin de niobium-étain (Nb3Sn) est produit par un éventail ahurissant de sous-traitants, dans six pays, de manière tellement différente que leurs échantillons ne se ressemblent même pas. Comme l'a expliqué Chiocchio : "il y a des fournisseurs partout dans le monde, c'est vraiment un cauchemar." Le Japon, qui a travaillé sur le prototype du solénoïde, voulait s'occuper des câbles et a fait campagne pour fournir ses propres matériaux pour le zoo. En 2010, deux sociétés japonaises ont envoyé leurs échantillons à un laboratoire en Suisse. Les résultats ont été particulièrement mauvais. Les câbles devront supporter soixante mille impulsions, mais le câble japonais était dégradé après seulement six mille. Les ingénieurs ont commencé à s'inquiéter: « cela va t-il être une erreur fatale pour ITER ? »
Les employés d'Oak Ridge ont craint que le calendrier ne puisse être respecté. Ils ont contacté un fournisseur travaillant pour ITER dans le New Jersey, Oxford Superconducting Technology, qui produit des brins de niobium-étain pour d'autres grands aimants de la machine. Ils ont demandé un échantillon pour le solénoïde, et en 2012, après avoir obtenu de bons résultats dans les tests, ils ont exhorté les Japonais à acheter le matériel d'Oxford. « Avec le fonctionnement d'ITER, c'était très difficile de convaincre les Japonais, car c'est quelque chose qu'ils voulaient faire » m'a dit un ancien travailleur d'Oak Ridge. Les Japonais ont refusé, et le risque de retard a augmenté. De nouveaux échantillons japonais ont été envoyé en Suisse, et après plus de deux années de discussions et d'essais, le produit japonais a finalement fonctionné. «Il y a eu un grand soulagement dans le monde entier », a déclaré l'ancien employé. Certains ingénieurs étaient fiers du travail d'équipe, mais ce problème n'aurait pas dû exister et reste un sujet sensible. Lorsque la revue sciences a publié un article la-dessus, Motojima a écrit pour dire qu'il était injuste de laisser entendre que les fabricants japonais avaient échoué. « Ce n'est pas correct » a t-il insisté.
Les effets du retard sont encore visibles sur le terrain. Les responsables de Oak Ridge ont sous-traité la construction du solénoïde avec General Atomics, une entreprise familiale à San Diego. […]
En mai 2014, les Japonais doivent livrer le conducteur à General Atomics, qui complétera les six modules d'ici 2018. La société expédiera alors les pièces finies au port de Galveston, avec chaque module - de 14 mètres de diamètre - sur des camions propulsés par trente essieux, pour supporter le poids. Le voyage se fera probablement après minuit, car les camions devront occuper deux voies d'autoroute. A Galveston, les modules seront chargés sur un navire qui se rendra à Fos-sur-Mer, près de Marseille. De là, ils seront transportés le long d'une route spécialement aménagée jusqu'à la salle d'assemblage du tokamak, puis empilés, compressés, câblés et testés. La hauteur de la salle est dictée par la hauteur du solénoïde. Suspendue au plafond, une grue à pont roulant - avec quatre crochets et des câbles d'acier - soulèvera le gabarit, et avec lui le solénoïde suspendu à la verticale. Chaque variable sera étudié avec précision: la tension des câbles en tenant compte du poids énorme; la dynamique de la grue quand elle se déplace; le degré avec lequel l'aimant va osciller; même la météo, le vent frappant le bâtiment, et comment sa force pourrait affecter le parcours de la grue. Lentement, le solénoïde - avec ses mille tonnes - sera transporté jusqu'au tokamak et placé au milieu de la chambre à vide. S'il est trop grand d'à peine quelques millimètres, il ne pourra pas rentrer dans l'espace cylindrique étanche conçu pour lui. Il n'y a aucune place pour l'erreur.
Que se passera t-il quand ITER sera activé? Une chose est certaine: une étoile synthétique est une merveille cryptique. La seule façon de l'observer serait de la sortir de la salle de contrôle ; les champs magnétiques sont invisibles, le plasma ne fait aucun bruit. Mais allez visiter un tokamak en marche - en Corée du Sud, en Suisse ou en Inde - et demandez ce qui se passerait si vous étiez à côté de la machine.
Réponse: L'aimant pourrait traverser le cœur et faire un trou dans la machine. Et que faire si le plasma se dissipe soudainement ? Réponse: des forces gargantuesques sont susceptibles de déferler, peut-être même d'arracher l'appareil, comme des faisceaux d'électrons déchirant sauvagement la machine. Dans la salle de contrôle, il pourrait sembler qu'il ne se passe pas grand chose, mais vous seriez entouré d'une science de l’extrême.
Que se passera t-il quand ITER sera activé ? La réponse, comme dans toutes les expériences, est un grand mystère, puisque personne n'a encore produit de plasma chaud, dense et suffisamment durable pour s'auto-entretenir. Une telle chose sera t-elle trop difficile à contenir, ou bien un équilibre imprévu sera t-il trouvé ?
Il est difficile de savoir si ITER aura assez de puissance pour atteindre le « mode H » scénario de base du projet. Les systèmes de chauffage du plus grand tokamak existant ont la taille de cinq conteneurs d'expédition; ITER sera encore trois fois plus grand, et devra fonctionner de façon non prouvée. Même si les systèmes fonctionnent, il n'y en aura pas assez. Les extrapolations actuelles ne donnent qu'une indication vague des besoins d'ITER, avec une gamme d'incertitude désespérément grande. Joe Snipes, physicien m'a dit: « Nous avons essayé, essayé et essayé et quand je dis «nous», je parle de toute la communauté travaillant sur la fusion, les experts du monde entier – nous avons essayé de réduire la marge d'erreurs, mais nous ne pouvons pas le faire; le mode H dépend de tellement de facteurs différents que nous ne pouvons comprendre » Certains ingénieurs se demandent si les systèmes de chauffage pertinents – coûtant un milliard de dollars, initialement conçus pour l'initiative de défense stratégique de Ronald Reagan appelée Star Wars - auront une utilité dans les tokamaks. D'autres pensent que tout doit être essayé, parce que ITER reste finalement une expérience: trouver des pistes pour une solution est son but.
Le travail de Snipes sera de gérer le plasma. Il n'y a pas longtemps, il a donné au siège une conférence pour les ingénieurs intitulé : « Limites de fonctionnement pour ITER »Il a parlé principalement des incertitudes de comportement du plasma, mais il a rappelé à ses collègues que certaines limites étaient simplement dues à la façon dont le projet ITER avait été conçu. Alors que la garde prétorienne était inquiète des lacunes au niveau des composants, essayant de s'assurer qu'il y aurait assez de place pour assembler la machine, les physiciens avaient la même inquiétude. Les neutrons devraient s'échapper du plasma d'ITER tel un tsunami. Parce que ces particules n'ont aucune charge, elles vont échapper à l'emprise des aimants, avançant à travers n'importe quel espace qu'ils trouveront, passant à l’intérieur, ou à travers, les obstructions – la matière solide ne pourra pas toujours les arrêter.
Dès le début, les physiciens ont compris que plus il y avait de lacunes dans la conception, plus les neutrons pourraient pénétrer dans la machine, le chauffage les absorbant de toutes façons. Pour étudier les effets du plasma sur la structure, ils ont acquis un million d'heures sur MareNostrum, un superordinateur à Barcelone, situé dans une cage de verre dans la nef faiblement éclairée d'une chapelle du XIXe siècle.
Les aimants d'ITER seront enfermés dans un cryostat et refroidis en continu avec de l'hélium liquide. S'ils deviennent moins froids que -267 degrés, ils deviendront «normaux» et perdront leur qualité de supraconducteur. Alors, l'énorme courant électrique qui les traverse cherchera une autre sortie, comme un fleuve endigué. Si les 18 bobines de champ toroïdal devaient faire l'expérience de ce phénomène, 41 milliards de joules d'énergie chercheraient un nouvel endroit ou aller. Un scientifique a comparé cette issue à deux avions 747 se scratchant simultanément dans la machine.
Les calculs sont complexes pour prévoir combien de neutrons viendront frapper les aimants, mais les lacunes sont introduites plus rapidement que la vitesse d'analyse. « Le physicien qui en est responsable améliore constamment ses modèles » m'a dit Snipes. « Chaque petit écart lui cause d'énormes maux de tête. Maintenant, ce ne sera pas un problème – nous réduirons les performances du plasma avant d'arriver à ce stade dangereux - mais ça nous empêchera de savoir jusqu’où nous aurions pu aller » En d'autres termes, même si ITER est capable de produire des réactions thermonucléaires record, la machine peut ne pas être capable d'y faire face - une perspective extrêmement frustrante. Depuis l'époque de Dorland et Kotschenreuther, il y a eu des modèles informatiques beaucoup plus encourageants; on prédit que ITER pourrait théoriquement atteindre l'ignition. Mais, si les écarts devaient se confirmer, les objectifs fondamentaux du projet pourraient être compromis.
« C'est ce qui arrive quand on fonctionne avec un calendrier qui n'est pas réaliste, ou lorsqu'on doit construire une machine avec trop peu de personnes, ou trop peu d'argent, il faut faire alors des sacrifices » m'a dit un scientifique affilié au projet. « Chaque fois que le directeur général fête une étape, il ne reconnaît pas les raccourcis qui ont été pris pour en arriver là » ITER est continuellement remodelé pour répondre aux exigences de moindre coût. Le tokamak avait au départ deux extracteurs de chaleur, appelées divertor. Il y en a maintenant plus qu'un seul. « Et c'est risqué » a ajouté le scientifique. « C'est comme construire une seule navette spatiale, et vouloir la faire fonctionner 30 ans. S'il y a un problème de divertor, cela pourrait prendre cinq ans pour en faire un autre, et ça pourrait être la fin du projet » Les compromis sont une source de difficultés permanentes, dont beaucoup ne sont pas résolues ou sont résolues cyniquement, les gens disent que c'est parce que Motojima encourage une culture qui est contraire à la science, parce que la structure organisationnelle d'ITER est calquée sur la société japonaise – avec une administration lourde se préoccupant beaucoup de donner une image de progrès.
« Ce projet est censé apporter de l'espoir, mais c'est la peur qui règne en son sein » a déclaré le scientifique. « Des efforts sont faits à plusieurs niveaux pour cacher les problèmes, en partie parce que les gens pensent que la situation ne pourra pas s 'arranger, et en partie parce que certains des décideurs seront morts au moment où on appuiera sur le gros bouton rouge ».
Durant l'été, l'ambiance de travail au sein de la plus grande collaboration scientifique de l'histoire devenait de plus en plus anxieuse. « ITER a toujours été un lieu de travail mouvementé, hein ? » m'avait dit Chiocchio, mais les frustrations montent nettement. L'année précédente, ITER avait à peine atteint la moitié de ses objectifs. La date de démarrage de la machine – 2020 - a été de nouveau reportée. On parle discrètement maintenant de 2023 ou 2024. Et si la date recule encore ? Les ingénieurs opèrent dans un monde de charges strictement mesurées et de flux thermiques , mais les forces politiques sont insensibles à ces mesures précises. Pourtant, les dernières répercussions étaient évidentes. À un moment donné, finalement, des politiciens frustrés pourraient décider qu'ITER n'en vaut pas la peine, vu le coût croissant des retards.
En Juin, le Conseil ITER s'est réuni à Tokyo, et il était évident que l'organisation allait se retrouver devant sa propre turbulence interne. À un moment donné, un membre du Conseil Coréen a pris ses papiers et claqué la porte. Ned Sauthoff, le chef de projet des États-Unis, a dit clairement qu'il pensait que la culture de sécurité nucléaire manquait dans le projet ITER et que l'implication américaine allait diminuer. Le ministère de l'Énergie avait arrêté le financement d'un tokamak au M.I.T (Massachusetts Institute of Technology) pour aider à payer ITER, et cette décision a eu des conséquences. Les membres du Congrès ont été invités à voir la machine inerte, et ils sont retournés au Parlement scandalisés. « ITER est en train d'absorber tout notre programme national ». Les estimations officielles de la contribution des États-Unis ont doublé, pour atteindre un milliard de dollars, puis ont de nouveau augmenté à 2,4 milliards de dollars, simplement pour arriver au « premier plasma », juste pour mettre la machine en marche. Avant la fin de l'été, Dianne Feinstein, la présidente du comité sénatorial qui gère les crédits pour le développement de l'énergie, a annoncé qu'elle stoppait le financement d'ITER jusqu'à ce que le ministère de l'Énergie fournisse une évaluation détaillée de l'engagement financier américain total. La demande était logique et il était impossible de lui répondre avec précision; les gens d'ITER eux-mêmes ne le savent pas. Le service était peu disposé à donner un chiffre, et Sauthoff m'a dit: « Nous sommes en terrain inconnu »
Motojima, quant à lui, avait du mal à rendre l'organisation plus simple et plus centralisée, et il était pris au piège : les agences domestiques ne donneraient pas plus de marge de manœuvre au siège ITER sans une plus grande confiance dans son efficacité, mais l'organisation ne pourrait jamais être plus efficace sans une plus grande autorité centrale. Quelque chose devait clairement changer. Quand j'ai rencontré Motojima, il rentrait juste de Sibérie - ou il avait rendu visite à un contributeur ITER à Novossibirsk - et il semblait fatigué. Il avait sa propre théorie sur le moral en baisse: il est dû en partie au travail incessant, mais il y a également une composante psychologique, parce que les gens ne peuvent pas voir le résultat concret de leur travail. La plupart des employés ne voient pas le chantier en construction de leurs fenêtres, ni les composants construits en dehors du site. Avec le temps, des grandes pièces arriveraient, le progrès serait mesurable, les attitudes changeraient. De son bureau, au cinquième étage, la construction du vaste chantier du tokamak était toujours visible.
Pourtant, Motojima eut droit à des critiques féroces. Il avait été décidé à Tokyo qu'une fois pour toutes, le calendrier devait être réaliste. Un membre du conseil m'a dit : « des gens recrutés à l’extérieur ont étudié et dit : c'est pourri, le projet de fusion lui-même est dépassé, c'est un rêve impossible. Non, non, et non! C'est la gouvernance d'ITER qui est pourrie. Nous devons trouver une solution, une issue possible à ce pétrin. Si nous n'y arrivons pas, alors nous aurons des problèmes - je pense à un remaniement total de l'ensemble du projet, de la direction, peut-être autre chose. Je pense qu'un pays partenaire peut partir, mais ce n'est pas utile, parce que le projet est réalisable. Mais tous les États membres ne fonctionnent pas ensemble comme une seule équipe, avec un seul objectif. Nous devons remédier à ça ».
Le remaniement était inévitable. En octobre 2013, une évaluation confidentielle de la gestion interne avait spécifié que le projet était « en plein malaise et pouvait dériver hors de tout contrôle » Elle a fait onze recommandations sévères, parmi lesquelles remplacer Motojima le plus rapidement possible. Le Conseil ITER a convoqué une réunion d'urgence. Les enjeux étaient particulièrement élevés pour la délégation américaine, qui devait apaiser le Congrès. Le ministère de l'Énergie avait présenté à Dianne Feinstein une nouvelle estimation de la contribution américaine passant de 4 milliards de dollars à 6,5 milliards de dollars et elle avait accepté de financer ITER (et la machine M.I.T) mais pas sans conditions. Environ 12 % de l'argent serait retenu jusqu'à ce que les 11 recommandations soient appliquées de manière significative. En substance, elle a dit qu' ITER devait changer, ou la place des États-Unis serait à nouveau remise en question.
Comme les gens impliqués dans ITER ont commencé à se demander qui succéderait à Motojima - Condoleezza Rice fut suggéré - il s'empressa de faire des changements. Il congédia le directeur de la section des aimants, un vétéran au franc-parler, mais respecté de par ses 26 années d’expérience, et il a fusionné le travail de la garde prétorienne avec celui des autres divisions. « Je ne suis plus à la tête de la conception » m'a dit Chiocchio, mais malgré le nombre de fois ou il a essayé de m'expliquer sa nouvelle place dans la bureaucratie, je n'ai pas réussi à comprendre. Il avait gagné de nouvelles responsabilités, et en avait perdu d'autres. « Fondamentalement, je continue à faire exactement le même travail » m'a t-il dit.
[…]
Avant de quitter la France, j'ai rejoint Chiocchio et GünterJaneschitz, conseiller principal auprès du Directeur général, ainsi que d'autres membres de la garde prétorienne, pour une visite du chantier de construction ITER. Il était midi, et le soleil était chaud et éclatant. Le groupe portait le lourd fardeau d'une physique complexe et d'une politique plus complexe encore, mais c'était un bel après-midi en Provence. Nous nous sommes dirigés vers le bas par un chemin de terre à travers les arbres, passant devant les câbles et les transformateurs qui amèneront l’électricité directement depuis le réseau national français. Une douzaine de véhicules jaunes - camions-benne, pelles rétro caveuses, bulldozers – étaient alignés soigneusement. Au loin, les grues émergeaient dans les hauteurs, leurs silhouettes en forme de L dans le ciel ouvert. Pour un projet qui devait désespérément rattraper son retard, le site était étrangement calme.
« C'est la pause déjeuner » dit sèchement Janeschitz.
Nous sommes passés devant un bâtiment vide, aussi long que cinq piscines olympiques. C'est ici que le système magnétique poloïdal, trop volumineux pour être déplacé sur des grandes distances, sera assemblé. Nous sommes passés devant une maquette de la grande dalle de béton qui devra soutenir le réacteur. La construction de la dalle était dans l'impasse à cause d'un autre conflit : économiser de l'argent, l'agence domestique européenne avait insisté pour que la dalle soit deux fois moins épaisse que dans la conception initiale – ce changement décidé par la réglementation française était dangereux. Pour sortir de l'impasse, les ingénieurs d'ITER ont conçu une nouvelle structure pour répartir davantage le poids de la machine.
Chiocchio a dû trouver du temps pour ça. « Il a fallu six mois » dit-il « La machine est déjà conçue, chaque composant est déjà conçu. On ne peut pas changer quoi que ce soit » Janeschitz secoua la tête et dit: « Bien sûr ensuite il y a des plaintes, en raison du coût et des modifications tardives ».
Pour se rendre dans la fosse de construction du tokamak, nous descendîmes un escalier métallique jusqu'à ce que nos pieds touchent terre, seize mètres plus bas. La fosse était si vaste qu'il a fallu un temps d’adaptation mental pour apprécier sa profondeur. Nous étions dans un canyon. La terre au fond – cuite par le soleil et craquelée, avait été laminé à plat, et des tas d'équipements étaient stockés à la surface. Dominant l'espace où la dalle était en construction, des murs de soutènement renforçaient la fosse. On pouvait voir les plots – 493 en tout, chacun comme un petit monolithe surmonté de coussinets anti-sismiques. En cas de tremblement de terre, les roulements permettront à la dalle de se balancer de droite à gauche.
Même en tenant compte de toutes les difficultés du projet, il était difficile de ne pas sentir la majesté de ce qui était tenté. Au centre du tapis de base, des kilomètres de barres d'armature étaient pliées en une élégante toile d'araignée s'étendant sur 60 mètres. Un jour, tout ça sera coulé dans du béton, avec le tokamak au centre. Après une pause au bord, tout le monde a soudainement disposé une rangée de planches de bois vers le rayon intérieur de la toile d'araignée, lieu du centre du tokamak: Ground Zéro. Difficile de savoir pourquoi nous allions tous là-bas; le centre n'offrait pas de meilleure vue de l'énorme dalle que les côtés. Il y avait peut-être l'impulsion humaine, être juste là, où quelque chose de notable pourrait se passer. La fusion, la source d'énergie la plus abondante dans l'univers, n'a jamais produit la moindre énergie sur Terre. […]
Ce soir-là, dans un café à proximité du site, j'ai pris un verre avec un physicien d'ITER qui était abattu, craignant que la machine ne marche jamais. Pourquoi il restait dans le projet, il ne pouvait le dire. Mais quelques semaines plus tard, après réflexion, il m'a dit que son moral était remonté. Il était venu là jouer son rôle, à la fois petit et sublime, semblable à un tailleur de pierre qui peine des années sur la cathédrale de York Minster (commencé en 1220, terminé en 1472) sans avoir jamais vu le travail achevé. « Je m'attends maintenant à consacrer toute ma carrière professionnelle avant de voir un plasma décent dans ITER » m'a t-il dit. « Ça ne m'embête pas. Il y a eu de nombreux scientifiques avant moi, travaillant pour un même objectif et n'ayant rien vu. Martin Luther King avait un rêve il y a cinquante ans. Il n'a pas vécu assez longtemps pour voir ce rêve réalisé. Mais, grâce à lui, nous avons fait des progrès merveilleux pour que ce rêve s'accomplisse. Les scientifiques travaillant sur ITER ont un rêve qui pourrait être aussi puissant que celui de Martin Luther King - pas pour l'égalité humaine, mais pour l'indépendance énergétique. Nous ne verrons pas la réalisation de ce rêve. Mais chaque jour je vais au travail avec un sourire caché, car je sais que j'aide à ce qu'un jour notre rêve ITER se réalise ».
Annexes

giovedì 26 marzo 2015

Dalla Francia con orrore Chi vuole la pelle delle ZAD (zone da difendere)?



 Si trattava d’ironia? Il 6 marzo, lo stesso giorno in cui la zona da difendere (ZAD) della foresta di Sivens (micro Val di Susa francese) è stata nuovamente evacuata dalla polizia, Manuel Valls s’è inquietato “del silenzio della società e degli intellettuali” di fronte alla crescita dell’estrema destra (vedi Le Monde del 7 marzo). Vista dal Tarn (regione in cui si trova il sito in questione), dove gli oppositori alla costruzione dello sbarramento di Sivens si sono confrontati per tutto febbraio con delle pratiche d’ispirazione fascista, la dichiarazione del Primo Ministro appare come un’insolente provocazione. Infatti, il suo governo si è appoggiato su una frangia della destra estrema per indebolire la lotta contro il progetto in questione e facilitare l’evacuazione della Zad del Testet. Per rendere comprensibile quest’affermazione, è necessario un breve ritorno su fatti quasi ignorati dai media.
Dal weekend del 31 gennaio 2015 dei piccoli gruppi d’individui hanno cominciato a bloccare l’accesso della Zad a tutti quelli che vogliono andarci. Per interrompere il contatto tra gli zadisti e i loro numerosi appoggi nella regione tali gruppi non ci vanno certo di mano morta: quelli che portano dei viveri ai difensori della foresta sono svaligiati dei loro carichi; altri si ritrovano gli pneumatici tagliati, l’auto nel fosso oppure ribaltata per non aver tenuto abbastanza un basso profilo; tutti sono apertamente minacciati e talvolta seguiti quando si allontanano dai blocchi operati da questi “pro sbarramento”.
Così il sindaco di un piccolo comune del sud del Tarn, Patrick Rossignol, venuto a partecipare a una discussione sulla Zad il 1° febbraio, è stato “filato” da Sivens fino al centro di Gaillac. Avendovi parcheggiato l’auto, il tempo di una riunione, si è ritrovato all’uscita con il parabrezza in briciole. Nella sua testimonianza che ha postato su Internet, racconta anche come il gruppo di militanti di Gaillac, che lo avevano accompagnato alla Gendarmerie per la denuncia, sia stato attaccato con sbarre di ferro da un gruppo di “pro sbarramento” mentre i gendarmi non si sono degnati di uscire dai loro locali se non all’ultimo momento, quando i fatti si svolgevano proprio sotto le loro finestre.
Per tutto il mese, i partecipanti alle lotte contro lo sbarramento di Sivens sono stati spesso minacciati e molestati alla presenza di forze dell’ordine (gli zadisti, invece, hanno il privilegio di poter essere aggrediti senza testimoni nella foresta a ogni ora del giorno e della notte). I gendarmi si presentavano nei dintorni della Zad come forza d’interposizione, ma la loro connivenza con i “pro sbarramento” era sfacciata. Domenica 1° marzo, nella serata, un giovane che cercava di raggiungere la Zad si è visto sbarrare la strada e intimare di scendere dal suo automezzo che è stato incendiato sotto gli occhi dei gendarmi. I quali si dicevano troppo pochi per potersi opporre, al punto di non procedere neppure alla denuncia dei fatti...Mercoledì 4 marzo, infine, le forze dell’ordine che circondavano il sito per impedire ogni rinforzo e approvvigionamento agli zadisti, hanno permesso ai “pro sbarramento” (in quel momento più numerosi) di riversarsi sull’accampamento degli oppositori con testimonianze di caccia all’uomo, di saccheggi e di incendi perfino nelle capanne in cui si trovavano degli animali (vedi il reportage sul sito Reporterre.net). 

 

Questo spaventoso slancio di cittadinanza attiva è stato innanzitutto condotto senza etichetta politica visibile se non per i bracciali “anticapelloni” che esibivano i “pro sbarramento”. Nella stampa locale questi piccoli gruppi d’intimidazione erano presentati come “agricoltori del posto arrabbiati” ma la gente che li conosce li dice elettori se non militanti del Front National, e neppure tutti agricoltori. I siti internet che rivendicano queste azioni tengono un discorso di destra dura (anti disoccupati, anti stranieri) con aggiunta di minacce di morte contro gli zadisti. Uno degli animatori del blog Testet.Sivens.com sarebbe un sovvenzionatore del giornale Boulevard Voltaire. Sul posto alcuni SUV inalberano stemmi del FN. Assumendo pubblicamente l’organizzazione di una settimana di blocco della ZAD a partire dal 2 marzo, la FNSEA (sindacato contadino conservatore che aveva incoraggiato da mesi l’azione di questi “ultras” a livello locale) ha portato il suo sostegno ufficiale a delle pratiche abbiette. Non denunciandole, il governo di Hollande e Valls vi ha aggiunto la sua approvazione.
Infatti, per tutti quelli che sono stati esposti a una tale offensiva, la situazione è sconcertante perche non è chiaro se la polizia fosse in sostegno dei “pro sbarramento” civili o se fossero questi miliziani che aiutavano la polizia a reprimere un’occupazione insopportabile tanto agli occhi dei baroni del Consiglio Generale del Tarn che a quelli del Primo Ministro.
Del resto, il contrasto è assai forte tra l’estremismo dei mezzi impiegati per rimettere la foresta di Sivens a disposizione dei cementatori e il carattere consensuale degli argomenti usati per giustificare questo colpo di mano. Prendiamo l’appello dei Giovani Agricoltori della regione Midi-Pyrénées agli agricoltori della FNSEA di tutta la regione (28 febbraio): “La commedia è durata anche troppo. Bisogna passare da una fase in cui gli “antitutto” possono bloccare tutto a una fase di sviluppo responsabile dove i progetti economici strutturanti per i nostri territori possano essere iniziati e realizzati. Oltre lo sbarramento sul Tescou si tratta della posta globale di Sivens.”. Ecco una parola d’ordine alla quale nessuno nella classe politica saprebbe opporsi, escluso forse JL Melenchon (ultimo gauchista di servizio) quando va alla caccia dei voti mascherando il suo vecchio stampo produttivista. Il segretario di Stato per la Riforma territoriale, André Vallini, non ha forse dichiarato di recente: “Affinché la Francia resti la Francia, dobbiamo continuare a costruire aeroporti, sbarramenti, autostrade, linee TGV, strutture turistiche.”? Potrebbe, tuttavia, trattarsi di Bayrou, (Modem), Xavier Bertrand (UMP) o Marine Le Pen (FN).
 

Il che significa che andando a bastonare al freddo e sotto la pioggia dei giovani capelloni che tentano concretamente di rendere un altro mondo possibile, i miliziani del FN e della FNSEA difendono gli interessi dell’élite politico-economica che dicono di aborrire. La quale continua a presentarsi come moderata e democratica mentre può apparentemente contare su uomini esperti per impedire, con tutti i mezzi necessari, che emergano delle alternative teoriche e pratiche allo sviluppo industriale, alla società della crescita e al suo inevitabile saccheggio umano e ecologico. Siamo qui al cuore dell’identità storica dell’estrema destra – al di là da quello che essa veicola per sciovinismo e xenofobia, al di là dei voti essenzialmente di protesta che procurano il suo successo elettorale: l’estrema destra si radica nella società quando le classi dirigenti sono costrette ad affidarle un ruolo nel mantenimento dell’ordine, cioè nella repressione di movimenti anticapitalisti e nella salvaguardia degli affari correnti (che il business possa continuare come al solito). Questo ruolo è generalmente tenuto da individui e gruppi che avrebbero anch’essi motivo di prendersela con il sistema economico che si prepara a maciullarli, ma che, per un insieme di ragioni personali e sociologiche, aderiscono al richiamo dell’ordine – il leitmotiv dei “pro sbarramento” durante tutte queste settimane è stato: “domandiamo allo Stato d’applicare la legge”...pur esercitando, ovviamente, una pressione  tale da porre numerose leggi sotto i piedi.
Nel momento in cui lo Stato francese si lancia in una gigantesca operazione di comunicazione ambientale, che culminerà il prossimo dicembre nella conferenza Paris Climat,  è  cruciale per lui di soffocare la voce che da qualche anno si fa intendere, a fatica ma con insistenza, sia in Francia che altrove, in particolare attraverso le lotte contro i grandi progetti utili al capitalismo: soltanto lo stop dello sviluppo industriale, seguito da un riesame profondo della nostra civiltà di macchine potrà restituirci la speranza di un mondo vivibile, socialmente ed ecologicamente. Ciò implica, beninteso, un cambiamento politico immenso che i nostri dirigenti vogliono scongiurare a qualunque prezzo, giocando sulle paure e le contraddizioni in seno al popolo.
Se l’atmosfera fosse più leggera in questi ultimi tempi, si potrebbe lungamente ridere della fanfaronata di Valls in vista del meeting di dicembre: “Come la Francia dei Lumi ha saputo mostrare il cammino, il modello ambientale francese deve ispirare il mondo. In qualche modo, noi dobbiamo proporre un nuovo universalismo.”. Dopo gli ultimi sussulti del conflitto di Sivens e la carta bianca concessa dal governo alla FNSEA, sappiamo dunque che il Diderot del XXI secolo si chiama Xavier Beulin (capo della FNSEA) e che il nuovo universalismo francese consisterà nell’incoraggiare dappertutto sulla terra l’uso di pesticidi nelle stesse nostre quantità.
Sosta d’ironia a denti stretti: per i numerosi abitanti della regione di Sivens che si sentono feriti dagli ultimi avvenimenti, come lo erano stati dalla morte di Rémi Fraisse quattro mesi fa, non è ancora tutto perduto. Lo sbarramento resta da fare e può dunque essere impedito. Ormai sappiamo, però, fino a quali estremi i difensori di quest’opera possono andare – numerosi articoli di stampa sulla riunione del Consiglio Generale del 6 marzo attestano, del resto, che alcuni deputati del Tarn non hanno la minima intenzione di costruire uno sbarramento più piccolo di quello inizialmente previsto.

Célia Izoard e Matthieu Amiech








PS: Per la vocazione internazionalista di barravento mi pare buono aggiungere in fondo pure il testo in francese   (Sergio Ghirardi)
Qui veut la peau des ZAD ?
Était-ce de l’ironie ? Le 6 mars, jour même où la zone à défendre (ZAD) de la forêt de Sivens a été une nouvelle fois évacuée par la police, Manuel Valls s’est inquiété du « silence de la société et des intellectuels » devant la montée de l’extrême droite (cf. Le Monde du 7 mars). Vue du Tarn, où les opposants à la construction du barrage de Sivens ont été pendant tout le mois de février confrontés à des pratiques d’inspiration fasciste, la déclaration du premier ministre apparaît comme une insolente provocation. Car c’est bien sur une frange de l’extrême droite que son gouvernement s’est appuyé pour affaiblir la lutte contre le projet de barrage et faciliter l’évacuation de la ZAD du Testet. Pour rendre intelligible cette affirmation, un bref retour sur des faits peu médiatisés est nécessaire.
À partir du week-end du 31 janvier 2015, de petits groupes d’hommes commencent à bloquer l’accès de la ZAD à tous ceux qui veulent s’y rendre. Pour couper le contact entre les zadistes et leurs nombreux soutiens dans la région, ces groupes n’y vont pas de mainmorte : ceux qui apportent des vivres aux défenseurs de la forêt sont dévalisés de leur chargement ; d’autres se retrouvent les pneus crevés, la voiture dans le fossé ou même renversée sur le toit, faute d’avoir fait profil suffisamment bas ; tous sont ouvertement menacés, et parfois suivis quand ils s’éloignent des barrages de ces « pro-barrages ».
C’est ainsi que le maire d’une petite commune du sud du Tarn, Patrick Rossignol, venu participer à une discussion sur la ZAD le 1er février, est « filé » de Sivens jusqu’au centre-ville de Gaillac. Y ayant garé sa voiture le temps d’une réunion, il retrouve à la sortie son pare-brise éclaté. Dans le témoignage qu’il a fait tourner sur internet, il relate aussi comment le groupe de militants gaillacois venus l’accompagner à la gendarmerie pour porter plainte, quelques minutes plus tard, est attaqué à la barre de fer par des « pro-barrages » ; les gendarmes ne daignant sortir de leur bâtiment qu’au dernier moment, alors que les faits se déroulent juste sous leurs fenêtres.
Tout au long du mois, les participants à la lutte contre le barrage sont fréquemment menacés et molestés en présence des forces de l’ordre (les zadistes, eux, ont la chance de l’être sans témoin dans la forêt, à toute heure du jour et de la nuit). Les gendarmes se présentaient aux abords de la ZAD en mission d’interposition, mais leur connivence avec les « pro-barrage » était grossière. Dimanche 1er mars, un jeune homme tentant de gagner la ZAD en soirée se voit ainsi barrer la route et sommer de descendre de son camion, lequel est promptement incendié sous les yeux des gendarmes. Ceux-ci se disant trop peu nombreux pour s’y opposer, ce qui les empêchera même de dresser un procès-verbal… Mercredi 4 mars, enfin, les forces de l’ordre qui encerclaient le site pour empêcher tout renfort et tout approvisionnement aux zadistes laissent les « pro-barrage » (plus nombreux à ce moment-là) déferler sur le campement d’opposants, où les témoignages font état de chasses à l’homme, de saccage et d’incendie, jusqu’à des cabanes abritant des animaux (voir les reportages du site Reporterre.net).
Cet effrayant élan de citoyenneté active a d’abord été mené sans étiquette politique visible, si ce n’est les brassards « anti-pelluts » (anti-chevelus) qu’arboraient les « pro-barrages ». Dans la presse locale, ces petits groupes pratiquant l’intimidation étaient présentés comme des « agriculteurs du coin en colère » ; mais les gens qui les connaissent les disent électeurs voire militants du Front national, et pas tous agriculteurs. Les sites internet revendiquant ces actions tiennent un discours de droite dure (anti-chômeurs, anti-étrangers) agrémenté de menaces de mort contre les zadistes. L’un des animateurs du blog Testet.sivens.com serait contributeur du journal Boulevard Voltaire. Sur place, certains 4 × 4 arboraient des écussons du Front national. En assumant publiquement l’organisation d’une semaine de blocage de la ZAD à compter du 2 mars, la FNSEA (qui avait depuis plusieurs mois encouragé l’action de ces « ultras » au niveau local) a apporté sa caution officielle à des pratiques crapuleuses. En ne les dénonçant pas, le gouvernement de Hollande et Valls leur a aussi donné son approbation.
En fait, pour tous ceux qui ont été confrontés à cette offensive, la situation a ceci de troublant qu’on ne sait pas dire si la police était en soutien des « pro-barrage » civils ou si ce sont ces miliciens qui ont aidé la police à réprimer une occupation insupportable, aussi bien aux yeux des barons du conseil général du Tarn qu’à ceux du premier ministre.
Par ailleurs, le contraste est assez frappant entre l’extrémisme des moyens employés pour remettre la forêt de Sivens à disposition des bétonneurs, et le caractère consensuel des arguments servant à justifier ce coup de force. Prenons l’appel des Jeunes Agriculteurs de Midi-Pyrénées aux agriculteurs FNSEA de toute leur région (28 février) : « La comédie n’a que trop duré. Il faut passer d’une phase ou les “anti-tout” peuvent tout bloquer à une phase de développement responsable où les projets économiques structurants pour nos territoires peuvent être engagés et réalisés. Au-delà de cette retenue sur le Tescou, c’est l’enjeu global de Sivens. » Voilà un mot d’ordre auquel personne dans la classe politique ne saurait s’opposer, à part peut-être Jean-Luc Mélenchon quand il va à la pêche aux voix en masquant son vieux fond productiviste. Le secrétaire d’État à la Réforme territoriale, André Vallini, n’a-t-il pas déclaré récemment : « Pour que la France reste la France, nous devons continuer à construire des aéroports, des barrages, des autoroutes, des lignes de TGV, des équipements de tourisme » ? Mais cela pourrait être François Bayrou, Xavier Bertrand ou Marine Le Pen.
Cela veut dire qu’en allant bastonner dans le froid et la pluie les jeunes chevelus qui tentent concrètement de rendre un autre monde possible, les miliciens du FN et de la FNSEA défendent les intérêts de l’élite politico-économique qu’ils disent honnir. Celle-ci continue généralement de se présenter comme modérée et démocrate, mais elle peut apparemment compter sur des hommes de terrain pour empêcher, par tous les moyens nécessaires, qu’émergent des alternatives idéologiques et pratiques au développement industriel, à la société de croissance et à son inévitable saccage, humain et écologique. On est là au cœur de l’identité historique de l’extrême droite — au-delà de ce qu’elle charrie évidemment de chauvinisme et de xénophobie, au-delà des votes essentiellement protestataires qui font son succès électoral : l’extrême droite s’enracine dans la société quand les classes dirigeantes sont contraintes de lui confier un rôle dans le maintien de l’ordre, c’est-à-dire la répression de mouvements anticapitalistes et la pérennisation des affaires courantes (que le business puisse continuer as usual). Ce rôle est en général tenu par des individus et des groupes qui devraient aussi s’en prendre au système économique, car celui-ci s’apprête à les broyer, mais qui pour tout un ensemble de raisons, personnelles et sociologiques, se rangent du côté de l’ordre — le leitmotiv des « pro-barrage » pendant toutes ces semaines était « nous demandons à l’État d’appliquer la loi »... quitte bien sûr à exercer cette pression en piétinant nombre de lois.
Au moment où l’État français s’engage dans une gigantesque opération de com’ environnementale, qui culminera en décembre prochain avec la conférence Paris Climat, il est crucial pour lui d’étouffer la voix qui se fait, poussivement mais avec insistance, entendre depuis quelques années en France et ailleurs, notamment à travers les luttes contre les grands projets utiles au capitalisme : seul l’arrêt du développement industriel, suivi d’un inventaire poussé dans notre civilisation de machines, peut nous rendre l’espoir d’un monde vivable, socialement et écologiquement. Cela implique bien sûr un changement politique immense que nos élites veulent conjurer à tout prix, en jouant sur les peurs et les contradictions au sein du peuple.
Si l’ambiance était plus légère ces temps-ci, on pourrait rire longuement de cette fanfaronnade de Manuel Valls en vue du sommet de décembre : « Comme la France des Lumières a su montrer un chemin, le modèle environnemental français doit inspirer le monde. C’est en quelque sorte un nouvel universalisme que nous devons proposer. » Après les derniers rebondissements du conflit de Sivens et le blanc-seing donné par le gouvernement à la FNSEA, on sait donc que le Diderot du XXIe siècle s’appelle Xavier Beulin, et que le nouvel universalisme français consistera à encourager partout sur la terre l’usage de pesticides dans les mêmes quantités que chez nous.
Trêve d’ironie grinçante : pour les nombreux habitants de la région de Sivens qui se sentent meurtris par les derniers événements, comme ils l’avaient été par la mort de Rémi Fraisse il y a quatre mois, tout n’est pas encore joué. Le barrage reste à construire et peut donc être empêché. Mais nous savons désormais jusqu’à quelles extrémités les défenseurs de cet ouvrage sont prêts à aller — nombre d’articles de presse sur la réunion du conseil général le 6 mars attestent d’ailleurs que certains élus tarnais n’ont aucune intention de construire un barrage plus petit que celui initialement prévu.
Célia Izoard et Matthieu Amiech